Vendulka ou le courage d’être libre (Vendulka aneb Odvaha ke svobodě, 2019)
Připravila Anna Kubišta.
Natočeno 2019. Premiéra 7. 9. 2019 (ČRo Radio Prague, 11 min.).
Lit.: Kubišta, Anna: Vendulka ou le courage d’être libre. In web Radio Prague International, 7. 9. 2019 (článek + nahrávka k poslechu). – Cit.: C’est une histoire d’amitié, d’amour parental et filial, d’espoir, de force morale et de valeurs humaines à préserver. Une histoire de survie aussi, dans les conditions impitoyables des camps de concentration nazis. Et finalement, une histoire de liberté regagnée. Il y a quelques années, le journaliste tchèque Ondřej Kundra est parti à la recherche d’une jeune fille juive, Vendulka, immortalisée en 1943 par le photographe Jan Lukas, à la veille de la déportation de sa famille. De cette rencontre, près de 80 ans plus tard, il a tiré un témoignage poignant paru début 2019 aux éditions Paseka.
« Pour moi, toute cette histoire a commencé avec la découverte dans notre bibliothèque de famille un livre de photographies de Jan Lukas. Ses photos m’ont tout de suite marqué, car elles sont émotionnellement fortes et souvent très symboliques. La plupart d’entre elles reflètent l’histoire moderne de la Tchécoslovaquie au XXe siècle, qu’il s’agisse de moments heureux ou bien plus sombres. Mais la photo qui m’a le plus marqué, c’était celle d’une petite fille juive que je pensais être âgée entre 10 et 13 ans. En elle se reflétait tout ce que l’Holocauste a pu représenter, toutes les horreurs. Enfin, j’avais vraiment très envie de savoir ce qui s’était passé après cette photo : la petite fille avait-elle survécu ? Et ses parents ? Quelle était la suite de l’histoire ? »
Cette photographie devenue iconique montre Hana Vendula Voglová, surnommée Vendulka, alors âgée de 12 ans. Une partie du visage dans la pénombre, elle est adossée à une porte. Ses yeux, légèrement baissés et graves, regardent dans le lointain de la pièce. Autour du cou, une étiquette avec un numéro : 671. Dans quelques heures, Vendulka et ses parents vont partir pour le camp de transit de Terezín, à une heure environ au nord de Prague.
Ce soir-là, le photographe Jan Lukas est présent et réalise les photographies les plus connues et les plus marquantes de sa carrière. Jan Lukas est un ami de longue date de la famille Vogl. Leur amitié remonte aux années d’avant-guerre, lorsque Karla Voglová, la mère, Šimon Josef Vogl, le père, et Vendulka, leur fille unique, vivaient encore dans la jolie ville thermale de Karlovy Vary, en Bohême de l’Ouest. L’annexion des Sudètes par les nazis, l’occupation de la Tchécoslovaquie et la guerre qui éclate changent à jamais leur vie.
Les Vogl doivent trouvent d’abord refuge à Prague, où Jan Lukas continue à leur rendre visite. Comme tous les Juifs du Protectorat de Bohême-Moravie, ils doivent se plier aux lois ségrégationnistes et discriminantes du régime nazi, et se voient peu à peu interdits de faire à peu près tout, de l’exercice des métiers comme avocat, médecin, juge, enseignant jusqu’à l’interdiction de fumer, de consommer des fruits, du fromage ou des sucreries.
A partir de septembre 1941, l’étoile jaune est de rigueur, et les premières déportations commencent deux mois plus tard. Les Vogl bénéficient de deux ans de répit, mais l’ordre de départ finit par arriver en 1943.
Lors de cette soirée d’adieux entre les Vogl et Jan Lukas, ce dernier prend encore au moins deux autres photos, qui, outre leur force, représentent également un témoignage historique rare :
« Ces photographies sont extrêmement intéressantes parce qu’elles montrent les dernières heures de la vie de Juifs de Prague avant la déportation. C’est un moment qui n’est que peu, voire pas du tout photographié, et pour cause : ces familles n’avaient pas de raison de se prendre eux-mêmes en photo pendant ce moment tragique. En outre, personne n’avait de raison de les photographier non plus car il aurait aussi risqué d’être déporté. En cela, Jan Lukas a d’ailleurs été très courageux. Ces photographies sont puissantes et ont aussi une valeur documentaire importante. »
« Sur les autres photos, on voit les parents et leur fille Vendulka à côté de leurs bagages. On peut voir qu’il s’agit d’une famille pragoise intellectuelle, issue de la classe moyenne. Une famille qui avait sans nul doute un avenir radieux, mais qui s’est terminé de manière tragique. Une autre photographie montre à nouveau toute la famille. Ils sont autour d’une table chargée d’affaires. Le père est debout, la mère et Vendulka trient ce qu’elles ont devant elles. On voit qu’elles réfléchissent à ce qu’elles doivent emporter ou pas, ce qui est nécessaire, ce qui l’est moins. C’est une photographie vraiment unique, il n’en existe pas de similaire. »
Le soir-même, Jan Lukas va cacher la pellicule qui pourrait lui valoir, à lui aussi, d’être déporté. Pendant toute la guerre, le film reste caché, non-développé, chez lui, dans la chaufferie à charbon. Ce n’est qu’après la guerre que l’ami des Vogl pourra enfin découvrir ce qu’il a photographié.
Vendulka et ses parents font partie des plus de 81 000 Juifs de Bohême-Moravie à avoir été déportés entre 1941 et 1945. Le 6 mars 1943, ils arrivent au camp de transit de Terezín, où mère et fille sont séparées du père. En mai 1944, toute la famille est envoyée à Auschwitz, et dans un premier temps échappe à la mort certaine qu’implique la sélection pratiquée par les SS aux rampes d’arrivée des convois. Šimon Josef, le père, est envoyé au début de l’année 1945 au camp de concentration de Gross-Rosen, et sa dernière trace se perd au cours d’une marche de la mort, alors que l’Armée rouge avance.
Vendulka et sa mère Karla, elles aussi, se retrouvent dans une marche de la mort après leur transfert dans un camp de travail pour femmes. Et c’est à ce moment, alors que la défaite finale du régime nazi est proche, que se produit l’incroyable : elles s’échappent une première fois, avant d’être rattrapées, puis s’enfuient une seconde fois lors d’une autre marche de la mort.
« Je pense que la mère de Vendulka était une femme exceptionnellement forte, déterminée et courageuse. Elle a pris des risques énormes en camp de concentration en recouvrant l’insigne des prisonniers sur des habits par un tissu neutre. Elle avait préparé cela au cas où elle trouve le moyen de s’échapper, afin qu’une fois libres, elles ne soient pas reconnues en tant que prisonnières. Tout cela montre qu’elle était déterminée à trouver un moyen de prendre la fuite, ce qui représentait un risque terrible. Mais elles l’ont fait. Elle a fui avec sa fille une première fois, avant d’être faites prisonnières. Et elle a recommencé une deuxième fois. Elle a entraîné sa fille, s’est cachée dans un fossé puis dans des buissons. Dans toute cette histoire, Karla Voglová est clairement un personnage clé. »
Cette deuxième fuite permet aux deux femmes de regagner Prague en avril 1945, après de multiples péripéties. La guerre finie, Vendulka et sa mère apprennent que Šimon Josef n’a pas survécu, mais n’ont jamais appris les détails entourant sa mort. Trois ans plus tard, les deux femmes décident de fuir la Tchécoslovaquie, où les communistes sont arrivés au pouvoir. D’abord au Canada, où vivaient des proches. Là, Vendulka se marie avec un émigré tchécoslovaque. Plus tard, elle épouse en secondes noces un médecin américain et s’installe définitivement aux Etats-Unis, sa mère vivant à deux pas de sa fille.
C’est aussi aux Etats-Unis que parvient à émigrer Jan Lukas, au milieu des années soixante. Les liens amicaux qui lient les Lukas et les Vogl ne se sont jamais distendus, bien au contraire. Et jusqu’à la mort du photographe en 2006, les deux familles ont continué de se fréquenter de l’autre côté de l’Atlantique.
Mais revenons à aujourd’hui, ou plutôt, à il y a quelques années de cela, lorsqu’Ondřej Kundra découvre la photographie de Vendulka en 1943. Le journaliste part à la recherche de l’identité de la jeune fille, alors inconnue. Et retrouve sa trace assez facilement grâce aux filles de Jan Lukas.
« Il a été très difficile de convaincre Vendulka de me raconter son histoire. J’ai mis au moins cinq ans à la persuader. Elle ne voulait pas en parler, argumentant de manière simple et convaincante par ailleurs, que les photographies étaient tellement fortes qu’il n’était pas nécessaire de les commenter. Elle faisait aussi partie de cette génération de rescapés de la Shoah qui refusaient d’aborder le sujet, même avec leurs enfants. Elle voulait les protéger. Même si ses enfants sont tous nés aux Etats-Unis, elle avait peur que l’histoire puisse se répéter, elle ne voulait pas que l’on sache qu’elle était juive et ses enfants aussi. Et puis, elle ne voulait pas non plus que ce passé devienne un poids pour ses enfants, ce passé qui, pour eux, était difficilement imaginable. »
Ondřej Kundra ne s’est pas contenté de rapporter le récit de la vie d’une rescapée des camps de la mort, il a construit son livre comme l’histoire d’une amitié intangible :
« L’histoire de Vendulka et celle de Jan Lukas sont intimement liées. Leurs destins n’ont cessé de se croiser, jusque dans le camp de concentration. A un moment donné, Jan Lukas a réussi à lui faire parvenir un colis avec un pull qui l’a vraisemblablement aidée lors des marches de la mort puisqu’il l’a sauvée du froid. Après la guerre ils se sont retrouvés, et Vendulka lui a servi de modèle pour diverses couvertures de magazines. Elle était amie avec son épouse, ils faisaient de nombreuses sorties tous ensemble. Des années plus tard, ils se sont retrouvés une fois encore aux Etats-Unis. Ils se parlaient souvent, et Vendulka a plusieurs fois accueilli chez elle pendant les vacances la plus jeune des filles de Jan Lukas. C’est ainsi que j’ai essayé de construire mon livre. Ce n’est pas seulement un livre sur l’Holocauste. C’est avant tout l’histoire d’une grande amitié entre deux personnes qui ont vécu les moments les plus sombres de l’histoire de la Tchécoslovaquie au XXe siècle. En même temps, au cœur de ce livre se trouvent aussi la volonté de vivre librement et le courage d’y parvenir. »
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